Edito

Il y a 10 ans, avec Céline Le Roux, nous candidations à la direction du Théâtre Nouvelle Génération. Notre projet, intitulé “Imaginer demain”, reposait sur l’intuition que les mutations sociétales, environnementales et numériques, impliquaient nécessairement de soutenir l’émergence de nouvelles générations de récits et de formes. Nous voulions accompagner ce mouvement et surtout contribuer à réduire la fracture qui se creuse inévitablement entre les générations, entre les communautés, quand la société est à un seuil de bascule, et lorsque de nouveaux systèmes de références culturelles émergent et se heurtent à celui, plus ancien, qui s’était jusque-là imposé.

Ensemble, durant ces dix années, nous avons tristement constaté la dégradation progressive des conditions de vie et de travail des artistes et des salarié·e·s des lieux. L’érosion des moyens des services publics, dont celui de la culture, qui a considérablement diminué nos capacités à garantir collectivement nos libertés fondamentales, les principes de justice et d’égalité sociale.

Nous avons donc fait le pari d’intégrer, dans cette institution théâtrale, de nouveaux langages, de nouvelles expériences esthétiques et de nouvelles voix. Nous avons souhaité inscrire, au cœur de notre projet, l’hybridation des disciplines, le soutien à la recherche et la réflexion sur les imaginaires du futur. Nous nous sommes laissé·e·s traverser par les grands bousculements provoqués par notre époque et sur lesquels les artistes portent leurs regards.

Après 2 années COVID et 3 années de travaux de notre grande salle, nous n’aurons pu exercer que 5 années dans des conditions “normales”. Mais nous avons passionnément aimé défendre, avec toute l’équipe du théâtre, notre vision commune du service public de l’art et de la culture et contribuer à rendre accessible au plus grand nombre, des chocs esthétiques et des œuvres qui n’ont pas peur de faire débat.

Tout cela explique, sans le moindre doute, l’influence croissante qu’exerce l’idéologie populiste d’extrême droite et la situation de grand danger dans lequel se trouve notre démocratie. Et nous en avons été, malheureusement, une illustration vivante, lorsque la Région a fait le choix d’affaiblir notre capacité d’action, en prenant la décision de retirer l’intégralité de nos subventions, pour sanctionner la liberté de mes prises de positions syndicales.

Bien sûr, les lieux d’art et de culture sont devenus des remparts sous-dimensionnés pour faire barrage, seuls, aux vagues submersives des courants réactionnaires. Mais ces lieux existent encore, leurs équipes sont pleinement engagées sur le terrain. Ce ne sont pas elles et eux qui manquent
à leurs missions. Ainsi, malgré l’adversité rencontrée, pour rien au monde, je n’aurais voulu être ailleurs, ces dernières années, que dans ce lieu qui résiste, par l’art, par la rencontre, par la médiation. J’ai conscience de cette chance qui m’a été donnée de partager le quotidien, de chaque membre de cette équipe engagée avec conviction dans son travail. Et dans cet instant particulier, où nous vous présentons cette dernière saison, nous espérons simplement qu’elle sera le reflet de tout ce que nous avons rêvé en grand pour ce théâtre désormais rénové et inscrit dans les enjeux majeurs de notre siècle.

Joris Mathieu
Directeur du Théâtre Nouvelle Génération – CDN de Lyon