« Il n’y a plus rien d’anormal, puisque l’anormal est devenu habituel ! »

Le Roi se meurt de Eugène Ionesco

 

Rien n’est assez énorme pour réussir à nous surprendre encore.

Si je vous dis qu’au Québec, une loi vient d’être votée pour interdire la vente d’alcool et de cannabis aux non-vaccinés; qu’au Danemark, un projet est à l’étude pour délocaliser des prisons au Kosovo afin d’y incarcérer les détenus d’origine étrangère; et qu’en Allemagne on réfléchit à placer les enfants des anti-vax dans des foyers pour les protéger contre les mauvais traitements de leurs parents… seriez-vous facilement capables, sans réfléchir, de déterminer laquelle de ces informations est fausse ?

Au milieu du vingtième siècle, en écho à la seconde guerre mondiale et à l’effondrement de l’humanisme, apparaissait sur nos scènes le théâtre de l’absurde.

Une intrigue qui manque de cohérence.

Une communication entre les personnages qui semble vaine ou impossible.

Des propos qui peinent à s’accrocher à une logique.

Aujourd’hui, c’est le monde entier qui semble régit par cette dramaturgie de la déraison.

« L’absurde n’a de sens que dans la mesure où il n’est pas accepté ». Ce n’est pas moi qui le dis, mais Albert Camus, dans Le Mythe de Sisyphe. Mais comment combattre l’absurdité quand on ne sait plus l’identifier.

Comme le dessinait Beckett, Ionesco ou Adamov à leur époque, nous sommes à nouveau plongés dans un environnement dont l’absurdité généralisée ne peut ni répondre à nos questions, ni satisfaire nos désirs.

Ce n’était pas mieux avant, en fait c’était pareil, trop pareil.

Pourtant tout n’est pas vain. Il est encore possible de trouver quelques cailloux à porter avec entêtement jusqu’au sommet de la montagne, pour ne pas sombrer dans le désespoir, le renoncement et l’anxiété.

Et puisque certains considèrent les essais théoriques d’Antonin Artaud, comme une source d’inspiration de ce mouvement littéraire de l’absurde, alors peut-être est-il intéressant de se rappeler ce qu’il écrivait dans Le Théâtre et la peste. En parlant de cette épidémie, il en évoquait une autre, plus puissante encore : une épidémie de folie irrationnelle, qui semblait frapper subitement l’ensemble des individus.

Puisse cette année 2022 nous permettre d’échapper à l’ensemble de ces vagues; de la propagation du virus et de la contagiosité de la déraison.

Puisse cette année 2022 nous éviter aussi les dérives autoritaires qu’entraînent trop souvent la perte de sens et de repères.

Joris Mathieu

Directeur du Théâtre Nouvelle Génération – CDN de Lyon